La corruption en baisse au Burkina Faso : illusion passagère ou tendance durable ?

 Selon le dernier rapport du REN-LAC, la perception de la corruption a significativement baissé au Burkina Faso en 2023. De 85,23 % en 2021, le pourcentage de citoyens estimant que la corruption est fréquente ou très fréquente est passé à 65,77 %. Mais cette amélioration est-elle réellement synonyme d'une réduction effective des pratiques corruptives ? Experts et chiffres nous aident à y voir plus clair.


Le dernier rapport du Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) met en évidence une baisse significative de la perception de la corruption. L'indice synthétique de perception de la corruption (ISPC) est passé de 71 points en 2021 à 40 points en 2023, marquant une amélioration notable. De plus, seuls 11,24 % des enquêtés estiment que la corruption a augmenté, contre 52,13 % en 2021.

D'un point de vue statistique, Isouf Paré, expert en analyse des données, souligne que « dans la perception des citoyens, il y a une baisse de la corruption. Cette perception est influencée par plusieurs facteurs, comme l'expérience personnelle, l'information relayée par les médias et les actions de la justice. »

L'enquête du REN-LAC révèle que 26,1 % des enquêtés ont versé un pot-de-vin en 2023, contre 31,7 % en 2021, soit une baisse de 5,6 points de pourcentage. De plus, 16,2 % des citoyens ont été témoins directs d’un acte de corruption, contre 24,7 % en 2021. Cette diminution des expériences vécues de corruption contribue grandement à dire qu’il y a une amélioration.

Cependant, cette tendance reste inégale selon les secteurs. Si certaines administrations ont vu leur niveau de corruption baisser, d’autres, comme la police municipale, affichent encore un taux de corruption perçu de 52,21 %, suivi de la douane (37,17 %) et de la police nationale (24,03 %).

Le REN-LAC met en avant plusieurs affaires jugées en 2024 qui ont contribué à ce changement de perception. L'affaire Vincent Dabilgou (ancien ministre des Transports), impliquant plus d'un milliard de francs CFA détournés. Les malversations foncières à Bobo-Dioulasso, où 479 parcelles ont été illégalement attribuées. Et enfin, l'affaire Amidou Tiengnan, où plus de 3 milliards de francs CFA destinés à l’action humanitaire ont été détournés.

Ces condamnations ont renforcé la confiance des citoyens dans le système judiciaire. Isouf Paré explique que « les citoyens constatent une réaction judiciaire face à des scandales majeurs, ce qui nourrit l'idée d'un recul de la corruption ».

Toutefois, des limites persistent. Le rapport du REN-LAC souligne l’absence d’actions d’envergure au sommet de l’État, où l’Assemblée législative de transition (ALT) n’a pas pleinement exercé son rôle de contrôle.  

  Un effet momentané lié au contexte politique

Pour le politiste Dr Saidou Abdoul Karim, cette baisse est à relativiser. Selon lui, « les changements de régime politique, en particulier en période de transition, induisent généralement une accalmie dans les pratiques corruptives. Ceux qui s'adonnaient à la corruption n'ont plus la garantie de l'impunité et adoptent une attitude plus prudente. »

Il rappelle que cette tendance a déjà été observée sous la transition de 2015, avant que la corruption ne reprenne avec force quelques années plus tard. Il a par ailleurs prévenu que « si les réseaux de corruption se restructurent et trouvent de nouveaux relais, la situation pourrait rapidement se détériorer ».

D’autres facteurs expliquent également cette baisse. Selon Dr Saidou Abdoul Karim, « la transition crée un climat d'incertitude pour les acteurs de la corruption, qui préfèrent attendre avant de reprendre leurs pratiques ». En d’autres termes, la corruption fonctionne en réseau, et lorsqu’un gouvernement est renversé, ces réseaux mettent du temps à se reconstituer, ce qui explique cette période de baisse apparente.

Malgré cette tendance encourageante, plusieurs secteurs restent fortement affectés par la corruption. Le rapport classe la police municipale, la douane et la police nationale parmi les administrations les plus corrompues.

Pour maintenir cette dynamique positive, les experts s'accordent sur l'importance de renforcer les mesures anti-corruption. Dr Saidou Abdoul Karim insiste sur la nécessité de « garantir l'indépendance de la justice et de protéger les lanceurs d'alerte afin de démanteler durablement les réseaux de corruption ».

Le REN-LAC, de son côté, appelle à l’institutionnalisation d’une cartographie des risques de corruption et au renforcement des contrôles financiers. Il recommande également un soutien accru aux institutions de contrôle, notamment l’Autorité supérieure de contrôle d'État et de lutte contre la corruption (ASCE-LC), qui manque encore de moyens suffisants.

Pour que cette tendance se poursuive, plusieurs recommandations émergent du rapport du REN-LAC. Renforcer les contrôles internes au sein de l'administration pour éviter les détournements de fonds publics. Protéger les lanceurs d’alerte pour encourager les dénonciations sans crainte de représailles. Rendre les procès pour corruption plus visibles afin de dissuader les potentiels acteurs de malversations. Encourager une presse indépendante et d’investigation pour révéler les cas de corruption en toute transparence. Garantir une indépendance judiciaire effective, afin que tous les dossiers, y compris ceux impliquant des hauts responsables, soient traités avec la même rigueur.

Dr Saidou Abdoul Karim met en garde contre une illusion d’amélioration. « Nous avons vu en 2015 une baisse similaire après l’insurrection, mais la corruption est rapidement repartie à la hausse. Il faut des mesures structurelles fortes pour éviter que cela ne se reproduise. »

La baisse de la perception de la corruption au Burkina Faso en 2023 constitue un signal encourageant, mais fragile. Si les actions judiciaires ont réellement permis une prise de conscience, la pérennité de cette tendance dépendra des mesures concrètes que prendront les autorités.

Le REN-LAC insiste sur le fait que sans réformes structurelles profondes, la corruption pourrait reprendre de plus belle. Il revient donc aux autorités de prouver leur engagement en instaurant des politiques durables et en garantissant la transparence dans la gestion des affaires publiques.

Dr Saidou Abdoul Karim conclut en disant que « le véritable test sera de voir si cette tendance se maintient dans les années à venir ou si, comme en 2015, elle s’efface rapidement devant le retour des pratiques corruptives ».

Anita Mireille Zongo

 

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